La Catalogne, une affaire européenne

Un des arguments les plus courants parmi les détracteurs de l’indépendance de la Catalogne, mais également ceux qui s’opposent à l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple catalan, est que l’éventuelle République Catalane serait exclue de l’Union Européenne. Cette question a été longuement débattue par différents experts européens et la seule conclusion qu’on peut émettre à ce stade est que l’histoire des processus d’intégration confirme que le pragmatisme et le principe démocratique a toujours fini par s’imposer. Mais ce n’est pas la question que je souhaite traiter aujourd’hui. Alors que le gouvernement espagnol vient d’activer l’article 155 de la Constitution (impliquant la suspension de la prétendue autonomie catalane) et après avoir constaté le refus catégorique de toute forme de médiation internationale de la part du pouvoir espagnol et des institutions européennes, le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, a clairement exprimé sa crainte vis-à-vis de l’effet domino que l’indépendance de la Catalogne pourrait engendrer. Le message est clair : l’Union Européenne, comprise comme un club d’États, est en danger. En effet, nous l’avons tous vu avec la mauvaise gestion de la soi-disant crise des réfugiés. Dans ce sens, le désaccord et les violations constantes des États membres ont mis en évidence la faiblesse de cette union qui ne cesse de bafouer les droits de l’homme en toute impunité alors qu’elle est censée les défendre selon ses principes fondateurs. Rappelons que le gouvernement et le parlement catalans, soutenus par la société civile, ont clairement exprimé leur engagement envers l’acceuil des personnes fuyant la guerre.

Allons droit au but. Le projet européen actuel est né de la volonté commune de reconstruire une Europe ruinée après la guerre la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité, laquelle fut provoquée — ne l’oublions pas — par la montée au pouvoir de régimes fascistes. Il convient également de rappeler que la raison principale de cette union est l’intégration économique, notamment à travers la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951. La valeur de la paix a toujours été l’autre grand vecteur de cette alliance d’États-nations européens alors que le monde était polarisé sous les effets de la Guerre froide. Nul ne doute que, malgré les différents rythmes au sein de ses États membres, ce projet a vécu un progrès remarquable en termes de droits démocratiques et de coexistence. Mais aujourd’hui encore, le choc des souverainetés des États-nations — un modèle d’État clairement en crise — reste un des points faibles du projet commun de l’Europe. Nous l’avons constaté dans la gestion de la crise économique et de celle des réfugiés, et nous le voyons maintenant avec le manque de volonté d’agir en tant que médiateurs entre les gouvernements espagnol et catalan dans une affaire foncièrement démocratique.

Alors que l’opinion publique européenne et internationale perçoit déjà la question catalane comme une affaire européenne, les mandataires des États membres et leur armada ne cessent d’unir leurs efforts pour protéger la notion de l’intégrité territoriale. Ils ne souhaitent reconnaître sous aucun prétexte la Catalogne comme une entité politique. En revanche, le processus d’indépendance catalan suscite de plus en plus de sympathie parmi les courants européistes qui luttent pour une Europe véritablement fédérale, autrement dit, ce vieux rêve européen où l’approfondissement démocratique implique une avancée vers des institutions européennes représentant directement les citoyens et qui vont au-delà des intérêts stricts des structures « étatiquo-nationales ». Une Europe humaniste où la répartition du pouvoir prendrait racine au niveau local, concrétement autour de ses communes et de ses villes. Une Europe qui promouvoit le concept fédéral entendu comme étant un comportement social et non une simple structure étatique. Lorsque nous parlons de fédéralisme et de souverainetés partagées, il ne faut pas oublier que la paix en est la pierre angulaire. C’est bel et bien le facteur de cohésion le plus important pour développer des relations saines et fructueuses. Il en est de même du droit à l’autodétermination qui, sans aucun doute, est une condition préalable à tout type de fédération. Une fédération (ou une confédération) n’en n’est pas une si elle ne se produit pas entre égaux et si elle ne repose pas sur la liberté d’appartenance ou d’association. L’union par la force est toujours vouée à l’échec.

La Catalogne est sans aucun doute une nation européenne et européiste où l’esprit fédéraliste est très présent. Le 1er octobre 2017, sous les coups de matraque de la police espagnole, les citoyens catalans ont clairement gagné le droit de se constituer en un État indépendant sous forme d’une république, de se gouverner et d’avoir une voix directe dans la construction européenne. Une souveraineté donc partagée ? Bien sûr ! Mais avec les institutions européennes et non pas en étant subordonné au nationalisme espagnol. D’autre part, il convient de souligner que l’économie de la Catalogne est diversifiée, attractive et parfaitement viable. La tendance expansive de l’économie catalane est très claire : en 2015, le PIB catalan a connu une croissance de 3,4%, dépassant ainsi celle de pays comme l’Allemagne (1,7%), la France (1,2%) ou l’Italie (0,8%). Les exportations ont augmenté de 6,1 % (10 % en ce qui concerne la haute technologie) et les investissements directs étrangers ont augmenté de 58 % (11 % en Espagne), ce qui prouve la grande confiance des investisseurs internationaux envers l’économie catalane. Et tout cela est du à l’esprit entrepreneur et à la culture de l’effort si bien enracinés chez les agents économiques du pays. L’Europe est un marché naturel pour la Catalogne. Il l’a toujours été et le sera toujours. Par conséquent, la contribution catalane au projet européen sera forcément positive dans tous les sens. Et il est juste que les citoyens catalans puissent gérer leurs propres ressources, dans le but de répercuter les bénéfices sur le bien-être et le progrès de l’ensemble de la population. En fin de compte, les institutions européennes peuvent décider d’isoler la Catalogne pendant une courte période. Mais il faut savoir que la Catalogne n’abandonnera jamais l’Europe.